Ayant pris conscience qu’il sera difficile de défendre le libre-échange en 2012 du fait des délocalisations massives, le PS, par la voix du député européen Henri Weber, s’essaie à une forme de troisième voie entre libre-échange et protectionnisme : le juste échange. Prière de ne pas rigoler.
Des propositions en carton
Dans le monde économique merveilleux du Parti Socialiste, il y a des méchants et des gentils. Les méchants, ce sont les vilains libre-échangistes, qui en plus, font deux poids deux mesures, protègent leur marché et demandent aux autres d’ouvrir le leur. Mais, il y a des méchants encore plus méchants : les chantres d’un protectionnisme non seulement « autarcique » mais aussi « suicidaire » dans le cadre de « l’internationalisation de la chaîne de production ».
Henri Weber poursuit : « le juste échange (…) s'efforce d'intégrer ces normes (environnementales, sociales…) dans les traités commerciaux internationaux. C'est celui qui ménage des périodes de transition suffisantes, pour permettre les adaptations nécessaires des systèmes productifs et des emplois, induites par l'ouverture à la concurrence, et enrayer, dans nos pays, le processus de désindustrialisation ». Naturellement, charge à l’UE de mener ces négociations…
Et attention, « en cas d'échec des négociations sur les normes, l'UE doit mettre en place des écluses tarifaires. De même, nous devons défendre notre modèle social et ne pas hésiter à suspendre le régime des préférences commerciales à l'encontre des Etats qui ne respectent pas les normes de l'Organisation internationale du travail : interdiction du travail des enfants ; non-recours au travail forcé ; droit reconnu aux salariés de s'organiser pour négocier collectivement leur contrat de travail ».
Le protectionnisme, c’est mal
En fait, ce texte ressemble comme deux gouttes d’eau au prêchi-prêcha que les socialistes ânonnent depuis vingt-cinq ans sur le libre-échange (contrairement à ce que disaient les communistes, comme l’a montré récemment Malakine). Paradoxalement, le texte souligne que tous les pays font un peu de protectionnisme, mais au global, plutôt que d’y réfléchir, le député socialiste reprend tous les clichés les plus faciles véhiculés par les néolibéraux pour combattre toute forme de protection commerciale.
Le choix du vocabulaire est absolument délicieux. En effet, « le juste échange s’efforce d’intégrer des normes ». On imagine bien les résultats que peuvent apporter le fait de s’efforcer de la sorte. Les « périodes de transition pour permettre les adaptations nécessaires des systèmes productifs et des emplois » ne sont qu’un vocable technocratique et boisé pour évoquer le besoin de légèrement ralentir le rythme de la désindustrialisation inévitable des pays développés.
Mieux, les pays émergents doivent trembler devant la menace de « suspendre le régime des préférences commerciales » s’ils font travailler les enfants ou recourent au travail forcé. Non seulement la sanction est dérisoire mais en plus le motif (s’il n’est pas injuste), est totalement hors débat. Le problème, c’est que le SMIC Roumain équivaut à 10% du SMIC hexagonal (sans parler de l’Inde) et que sans écluse, cela va provoquer une disparition des industries de main d’œuvre occidentales.
Les socialistes n’ont rien compris
Le Parti Socialiste a définitivement oublié la classe ouvrière, lui préférant désormais les sans-papier, un choix lourd de sens. Le plus risible revient à vouloir confier à des institutions européennes dogmatiquement libre-échangistes la mise en place d’écluses en contradiction avec la « concurrence libre et non faussée ». Il est aussi pitoyable de voir repris le mythe du bienfait du commerce sur le pouvoir d’achat, sachant que les salaires ont été bien plus comprimés que les prix, du fait du libre-échange.
Bref, à défaut de montrer que le PS réfléchit à l’anarchie commerciale et à ses conséquences, ce texte montre juste qu’il réfléchit à son positionnement en vue de 2012. C’est bien le seul apport du juste échange.
Laurent Pinsolle